Pour ce combat contre la nature, le temps nous est compté puisqu’en moins de dix ans, l’avancée de la mer due à l’action de l’homme et aux changements climatiques, a déjà grignoté la moitié de notre maison familiale ainsi que celles des voisins, situées le long de la plage de Mbao. Une situation catastrophique, désespérée et de plus en plus menaçante qui pousse ma pauvre famille à abandonner, dans un proche avenir, son habitation au pied des vagues, notre village culturel où il ne reste plus de terre, pour une destination incertaine. Je tire mes figures inspirées de fissures de mur au milieu des bâtiments démolis et parfois désertés par des familles sinistrées, dans un cadre à la fois calme et triste qui me rappelle mes ex-compagnons d’enfance. A mes côtés, il y a une longue amitié qui me lie avec ma vieille mère et avec mon oncle qui m’encadre de ses créations. Moi-même comme tant d’autres de mes amis pêcheurs, on se retrouve régulièrement sous une tente de fortune, sur la plage, à discuter de l’espoir que, malgré tout, la communauté lébou, active essentiellement dans la pêche traditionnelle, ressent face à l’océan. Mes maigres économies et mon statut d’artiste peintre qui passe inaperçu dans mon village natal ne m’empêchent pas de me consacrer à mon vœu le plus cher : organiser ma première exposition avec mes toiles qui montrent les fissures dans les murs de nos maisons. Je veux ainsi tirer la sonnette d’alarme et bénéficier du soutien des autorités locales, voire aussi d’autres gens, qui vivent ailleurs dans le monde. Je veux surtout aussi faire ce pari : l’art qui paraît si futile aux yeux de certains, pour autant qu’il s’ancre dans la vie des gens, des enfants, des adolescents, et qu’il invite les peuples à s’exprimer ensemble sur les sujets qui les concernent au quotidien, constitue une lueur d’espoir pour tous.